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Pontifical Council for the Pastoral Care of Migrants and Itinerant People People on the MoveN° 107 (Suppl.), August 2008
Pèlerinage et sanctuaire,espaces de miséricorde
M. lAbbé José da Silva Lima Président C.I. de lUniversité Catholique du Portugal Centre Régional de Braga 1. Zacharie entrait dans le sanctuaire Il foulait lespace le plus sacré, où personne ne pouvait sentir le sol, le saint des saints. On ne retirait pas le voile; cette sphère que les humains considéraient avec adoration appartenait à Dieu. Le silence régnait. Lodeur de lencens planait et là, rien de rien, sinon «larche de lhistoire», de «lalliance», de la «séparation», qui faisait cesser les voix et adorer dans le cur. Les sens senvolaient ou restaient dehors. Cest de lintérieur du sacré que le grand prêtre sortit muet. Un espace autre, celui de lautre côté, ne pouvait que transformer celui qui y pénétrait. Tout sans altération. La «Gloire de Dieu» qui irradiait de toutes parts était là, mais personne ne la confisquait; là était la «présence» itinérante qui donnait une terre de lait et de miel; là était la réalité, venue den haut, sans nom imaginé, mas seulement «révélé». Elle avait fait des merveilles et elle était là. Ce qui est séparé est merveilleux. Non sans alternatives de mélange. Quand arriva son tour, «il entra dans le sanctuaire», selon la coutume sacerdotale en vigueur, le matin ou le soir. Il ranima les braises et les vapeurs de l «autel de lencens, lautel en or, dans le Saint des Saints»[1]. À lheure de lencens, le peuple restait dehors en prière. La Gloire de Dieu na pas de limites, mais elle na pas non plus dhabitudes. Elle est entourée par la multitude des anges qui ladorent sans cesse. Mais la Gloire de Dieu a des surprises, des ruptures dans les habitudes et dans les rituels, et les vapeurs dencens ne cessèrent même pas de se faire sentir. La surprise de ce jour-là fut le retard, car lange parla de la demeure de Dieu. Il lui apparut à droite de lautel de lencens[2]. Il apparut parce quil était là et le grand prêtre fut saisi de crainte et de perturbation. Il entendit alors la voix de la promesse. Tout arrivera comme le Seigneur la décidé, car ni la vieillesse, ni lâge avancé, ni linfécondité ne seront des obstacles. De ce sanctuaire parle le Seigneur de lUnivers, le Seigneur de toutes choses, la présence de toutes les grâces, qui offrira Jean - «le Seigneur fait grâce», comme le nom lindique - à Elisabeth et Zacharie. Ainsi, il ne sera pas comme les autres, mais il sera une exception pour la nouvelle alliance: grand devant le Seigneur, sans vin ni boisson alcoolique, mais rempli de lEsprit Saint dès le ventre de sa mère[3]. Il sera le conducteur de nombreux fils. Il ira devant et héritera du pouvoir dElie «pour ramener les curs des parents vers les enfants et les rebelles à la sagesse des justes». «Ne crains pas», car le Seigneur «te fais grâce»; réjouissance et jubilation, pour toi et pour beaucoup dautres. Et, devant la grâce, tu restes muet dadmiration et de crainte; tu nouvriras pas la bouche pour que la «grâce» soit surprise. Et quand tu diras qui il est, ils sauront que, bien que se situant dans la lignée, il vient de Dieu. Dans la logique des générations et dans lhistoire, entrera la nouvelle lignée de Dieu, de Son amour et de Son don. Ton mutisme créera de lattente dans tout le peuple et le retard sera considéré comme la cause du début dune nouvelle création. Quand Dieu intervient, les heures sarrêtent et le temps rituel devient le vrai temps favorable. Le peuple attendra dehors, car la «grâce donnée» est toujours surprise. La vision sest réalisée; le peuple déjà en attente avait compris et la routine des rites avait été transformée en signes nouveaux dun muet qui sétait attardé si longtemps dans la demeure du sanctuaire. Il ne parlait pas parce que Dieu, Sa Gloire, avait comblé sa voix dun chant, et il acquiesçait avec des gestes comme le nouveau Moïse, la main levée pour conduire sur un autre chemin. Cest là, dans le sanctuaire, que le Peuple avait reçu une nouvelle orientation et cest de là aussi, sans voix humaine mais avec un message divin, que souvrait une nouvelle orientation pour le sanctuaire: «Jai été envoyé, moi Gabriel, pour te parler et annoncer cette Bonne Nouvelle»[4]. Quelle contradiction apparente: «rester muet» pour que parle ce qui va arriver ! Le fils dun muet va préparer les chemins. Ce qui vient est grâce, ce qui vient est nouveau, ce que Dieu offre ne répète pas mais fait surgir du silence dun don. Il ne faut pas parler, mais accepter; il ne faut pas faire, mais recevoir. Et les jours ont passé, ceux de la traversée du désert de linfertilité. La grâce ne vient du «sanctuaire» que pour celui qui y entre. Il suffit dy entrer et de se laisser surprendre. Que montent les vapeurs dencens et que descende la voix incontestable de lange et, alors, dans le silence, est créé un nouveau monde que seul Dieu sait donner, que seul le Saint peut offrir. Cest ainsi que, au sixième mois, la Parole était déjà féconde et la chair humaine dElisabeth parlait de grâce, bien que le visionnaire demeure dans le silence de la contemplation. Tout venait de lautre côté, mais la nouvelle uvre prenait corps, Dieu faisait grâce à travers la gestation dElisabeth. La nouvelle uvre «tressaille» en présence de lauteur et la rencontre des femmes, récit de Luc[5], est la rencontre du Saint avec la miséricorde, la rencontre de lAuteur avec le début de luvre: «Heureuse es-tu qui as cru». Ce premier jour nest pas tant celui des mots, mais davantage celui de la lueur ; il nest pas tant celui des poèmes, mais davantage celui de la danse dune nouvelle réalité: danse vers le sommet des monts, danse dans le ventre dElisabeth, où le Créateur de la fécondité (en Marie) se joint à la voix de celui qui crie dans le désert (Jean, en Elisabeth). Là est lévénement. La semaine est passée et, en ce nouveau premier jour, le huitième (dans le plein accomplissement de ce qui est stipulé dans la Loi), la voix de la bonne nouvelle sest libérée pour écrire «son nom est Jean» et tout de suite après la bouche sest ouverte. Comme la pierre du sépulcre a roulé, les cordes vocales se sont accordées pour chanter un nouveau cantique et la bouche a parlé pour bénir, «remplie de lEsprit Saint»:
Zacharie ouvrit la bouche pour dire la «miséricorde», non dans le sens de se battre la poitrine ou de maltraiter le corps par indulgence. «Miséricorde» dans le sens de «don», de «grâce», de «Jean» parce que «le Seigneur fait grâce». «Miséricorde» dans le sens de cur ouvert de notre Dieu, comme la mère ouvre ses entrailles pour donner un fils. «Miséricorde» dans le sens de porte ouverte de Dieu pour ce qui paraissait impossible, pour la métamorphose de linfécondité, pour la transformation dun ventre vide en ventre plein de vie. Le silence a pris fin car la vie chante sa victoire ; la malchance de linfécondité a pris fin, parce que Dieu fait grâce ; le dérèglement social de nêtre pas comme les autres (même dans la vieillesse) a pris fin parce que la création vient de Dieu et le jardin social lui a toujours appartenu. Il sagit de la dernière figure de Pâques. En ce huitième jour, il y a une parole semblable à la confession solennelle de Thomas le huitième jour de Pâques: «Mon Seigneur et mon Dieu» / «Dieu a montré sa miséricorde». Ce sont les confessions correspondantes dun monde nouveau qui souvre, grâce à lévénement du sanctuaire: au Cénacle, avec Thomas; dans le Temple de Jérusalem, avec Zacharie. Il y a aussi deux événements parallèles: le précurseur nait dun ventre stérile, comme lhomme nouveau nait du sépulcre creusé dans le roc. Grâce de la surabondance de Dieu dans le rien de lhumain qui devient muet. Grâce qui a un autre nom: «miséricorde». Avec Zacharie, le feu de lencens a été ranimé et la voix du désert sest faite entendre; à Pâques, le brasier de lEsprit sest offert et le monde sest incendié avec la «richesse de la miséricorde». Le cur miséricordieux de Dieu a visité den haut une maison sur une pente de Ain-Karim comme le Soleil levant qui illuminerait la Palestine; de la porte ouverte du sépulcre, le Soleil est entré dans tous les villages, «faisant brûler le cur quand, sur le chemin, il nous parle des Ecritures»[7]. La stupeur de Zacharie fait tressaillir Elisabeth et crée en elle une transformation locale; la stupéfaction des disciples fait tressaillir le monde et y crée une interrogation impérissable. Des pentes de Ain-Karim sort la prophétie, la miséricorde en développement et, du sépulcre du Calvaire, sétend lautel de la préférence de la miséricorde, le sacrifice ancien ayant été assujetti. 2. Le sanctuaire était maintenant à Nazareth. Cétait un lieu important, car cétait un couloir pour tous les peuples. Jérusalem était loin. A Nazareth, la vie serait plus facile. Des maisons et des maisons, très semblables, sans grande opulence, ni or, ni murailles. Peu de traces du sacré, à peine les pas humains qui serpentaient les chemins et, ici ou là, le désir de quelque chose de plus, dune plus grande liberté, dun contrôle austère et étranger moins rude, de quelquun qui vienne, qui visite cette terre, pour en faire un espace de douceur et de maternité, un espace de réconfort et de bien-être, un couloir de salutations et de santé, une terre «de lait et de miel». Il ne manquait ni leau ni la verdure; on vivait du lac où jouaient les poissons et avec les animaux, source dune partie de lalimentation, qui paissaient au bord des chemins et sur les prés verts. On ne vivait pas dans labondance, mais de la terre, du lac, des échanges commerciaux et dun cur rempli dattente. «Le Seigneur viendra et la terre nous appartiendra». «Une tige de Jessé surgira et son sceptre nous guidera». «Une jeune est enceinte et va donner naissance à un fils ( ), lEmmanuel»[8]. Lattente était profonde, car cétait un temps de pénurie et non pas dabondance. Elle jaillissait du mouvement du quotidien et permettait à linattendu de prendre la maison dassaut. Cest ce qui est arrivé ce matin-là et, dans cette maison modeste, a été gravée pour toujours la plaque indiquant le sanctuaire. Jérusalem était plus près; larche avait volé dans cette direction, sans destruction, sans guerre, sans assaut. La «gloire de Dieu» habitait le village dans la maison blanche toute simple où le cur de Marie brûlait de désir. Personne ne le savait et personne ne la dit; on nen a pas parlé, mais cétait là maintenant, pour quelques temps, quétait installée la nouvelle arche dans «le saint des saints». Et le même ange a parlé dans le silence du désir. Et la même voix a déchiré les entrailles dun ventre immaculé. Du puits de cette miséricorde a jailli la nouvelle création. Cétait exactement le «sixième mois» de lautre sanctuaire qui était devenu muet. On comprend maintenant: cest dans le silence du prêtre et dans la contemplation du don de Jean de la part du Seigneur, comme cest dans lattente dElisabeth et dans lespérance de qui devait arriver, que le Soleil faisait germer le ventre de Marie et quen elle allait grandir le printemps du monde. La «grâce» était là, «la pleine de grâce», doù le don fut offert par anticipation à Elisabeth et Zacharie. Lange était le même, tout comme le silence de stupeur. Les paroles ne venaient pas de la terre, mais surgissaient de lautre côté du monde doù seul «lange du Seigneur» peut parler. Et il a parlé en perturbant le monde, dans le cur de cette jeune fille qui cherchait en elle le sens dune étrange salutation. La promesse était en train de se réaliser et les rayons de lumière étaient une espèce de «feu de lEsprit» qui emplissait Marie du don définitif et qui en faisait la dernière «arche dalliance». Dorénavant, il ny en aurait plus. Le passé somptueux de pierre passait définitivement dans la légèreté dune voix divine qui, en donnant la paix, annonçait lincarnation du Verbe de Dieu, répondant aux attentes de toutes les générations. Il ny aurait pas une espèce de météorite cosmique pour transformer le monde; on ne préparerait pas non plus une armée de valeureux guerriers; il ne tomberait pas du ciel une forte pluie de destruction qui, à partir du sang des uns, ferait germer une humanité nouvelle; ce ne serait pas par un coup de magie ou un coup de tonnerre effrayant que Dieu changerait le monde débauché et infidèle. Cest là, dans ce dialogue de liberté, dans cette proposition interpersonnelle, dans la pureté des interrogations dune jeune fille vierge ouverte à linsondable que seul le futur éclairerait, dans la Bonne Nouvelle séraphique de Gabriel qui rappelait que le moment était à la synthèse des générations et que lévénement le serait aussi cest là que la nouvelle alliance serait scellée pour toujours, sans négligence ni imposition, sans entêtement ni ignorance, mais dans la douceur dun dialogue dAmour, dans lespérance du «Fils du Très Haut», dans le désir dun «trône spirituel», sans simulation et pour toujours[9]. Il ny aurait pas dimposition divine, mais une proposition à une jeune fille élue. Dans le concret dune vie simple, rurale et sans prétentions, la Trinité désirait habiter, faire resplendir «Sa Gloire» dans la présence du Fils. LEsprit Saint était daccord et comme «force du Très Haut», il étendrait «son ombre» sur la jeune fille pour quil y ait une tente dans le désert et pour que la présence tant promise soit visible et palpable dans la «chair humaine». Ce ne fut pas fait sur un caprice, et, dans le dialogue, il ny a pas de raisons sans raison. Marie sagenouille, dans lhumilité dune «fille de Sion»; lEsprit étend «son ombre» en entendant le «que cela se fasse» de la nouvelle création et «le Verbe sest fait chair et a habité parmi nous»[10]. Le sanctuaire était à Nazareth. 3. LAmour définitif, la Miséricorde, ne resterait pas cloué dans un lieu donné. «Elle se mit en chemin». LAmour/Miséricorde nest pas venu pour être prisonnier de Nazareth, ni de quelque autre lieu, mais il serait pèlerin dans tous les lieux du monde, il traverserait des régions ennemies et aurait une place dans toute demeure de lhumanité. La nouvelle «arche dalliance» le sait ou le pressent. Elle se dirigea vite vers la montagne, en direction dune ville de Judée[11]. Elle traversa le territoire ennemi des samaritains, trouva refuge où elle passait, chanta «la gloire du Seigneur» à lombre de lEsprit et porta larche sous la tente à travers ce désert qui attendait la paix et la liberté. Elle devint «larche itinérante» et ne sarrêta plus, car elle crut que «Sa miséricorde sétend de génération en génération»[12]. «Elle sétend» parce quelle est entre nous et elle sétend parce quelle marche avec nous. Etrange lien nuptial, unique sur le plan de lAmour, que celui des «entrailles dune vierge», la miséricorde viscérale dune mère avec Celui qui est Dieu avec nous, «Emmanuel», marchant sous le dais ou la tente de lEsprit. Union nuptiale itinérante de lEglise, à Son origine, avec le Fils de la Trinité, «preuve irrécusable de lAmour de Dieu pour le monde». Une «alliance définitive» de lAmour et de la Miséricorde, inséparables depuis le début, et qui ne requière pas linstallation dans un lieu paradisiaque quelconque. Ils passent, montent, descendent, courent vite et sassoient pour attendre, appellent, dialoguent et vivent ensemble, dans un pèlerinage pour «faire des merveilles» pour celui qui les attend, rencontrant toujours les humbles et transformant la pensée des puissants, faisant toujours comprendre que la vraie richesse est celle de «posséder un trésor dans les cieux», rappelant toujours à tout serviteur, de lIsraël ancien ou nouveau, la miséricorde promise, lapportant, loffrant, la transformant en arche présente là où habite chaque être humain[13]. La miséricorde sest mise en chemin, dans le premier pèlerinage concret de «Dieu entre les hommes», parmi le peuple de Galilée, de Samarie et de Judée. Elle a transmis la leçon de lerrance, pour que lon comprenne que le sanctuaire nest pas fermé à double tour mais quil souvre pour chaque fils qui lui ouvre grand son cur et lui offre lhospitalité qui transformera sa façon de vivre. La miséricorde, itinérante dans le sanctuaire de Marie, est souvenir des temps anciens, comme cela sest passé pour «nos pères», mais elle est aussi offrande étendue à toutes les générations. Elle ne se garde pas, ne se privatise pas dans un sanctuaire par sa somptuosité ou par sa richesse; elle na pas dhoraire de repos, ni se ferme pour le déjeuner ou pour les vacances. Elle va. Elle marche vers le haut des monts ou sur le chemin qui descend. Elle va. En voyage en direction de Jérusalem pour que le Temple de pierre, construit avec beaucoup de sueur au long de plus de quarante ans, sache quil pourra être détruit par nimporte quelle offensive plus hardie, mais que personne ne pourra démolir le Nouveau Temple, édifié durant les trois jours de Pâques et dont la miséricorde demeure éternellement. Et, tout comme son ombre a édifié Dieu-Fils en Marie, tout homme qui saperçoit quil est édifié sur la Pâques saura, quavec elle, il reçoit lAmour / Miséricorde et quil naît ainsi de nouveau comme arche de Dieu sur les chemins du monde. «Ne tétonne pas quil tait dit: vous devez naître den-haut ( ). Il en est ainsi de celui qui est né de lEsprit»[14]. 4. Il se dépensera à partir de ce jour inédit La miséricorde sétendra sur toute la terre et les pierres du chemin sauteront de joie à son passage. Bien quà distance, la première tente, Marie, surprise, comprend que la Miséricorde sétend maintenant sur les pas autonomes du Fils quelle a mis au monde. Une tente est toujours provisoire et ce qui demeure est divin; une arche, aussi précieuse soit-elle, est transitoire, et ce qui ne se détruit pas, cest le trésor du Ciel quelle renferme. Les pas de lamour et de la miséricorde vont à travers le monde, comme ceux de larche de lalliance. Dieu fait pèlerinage dans le monde et entre dans les territoires les moins favorisés, les plus inhospitaliers, les plus dangereux, les moins habituels, les plus impurs et même ceux qui sont considérés comme exclus. Il entre, il suit, il passe. Le «sanctuaire» est ambulant, il est itinérant, il passe par le domicile de ceux qui restent dehors et élargit la miséricorde parce quil la préfère toujours aux limites rigoureuses et aux rites secs du sacrifice. Il va de chemin en chemin et de village en village. Il ressent la soif et la rigidité dun désert dit ennemi et se sent épuisé au bord dun puits de tradition séculaire, quand il va de terre en terre. La Miséricorde est assise, dans un sanctuaire itinérant, outrepassant les interdits qui obligent à éviter un territoire ennemi et qui empêchent dapprocher une femme étrangère. Mais la Miséricorde sort des entrailles de Dieu qui aime les plus pauvres, qui remercie pour le verre deau fraîche donné en son nom au plus petit et qui lit dans le cur, au-delà de ce que les légalistes peuvent deviner dans la législation. Il sassoit et écoute un dialogue qui, sans elle, ne serait jamais arrivé. Et leau désaltère, le puits est profond, le don de Dieu est encore plus grand et, quand la recherche atteint de la profondeur, elle atteint les entrailles de la Miséricorde «Cest moi qui te parle»[15]. Non pas Dieu sur la montagne, où ladoraient les anciens, ni Dieu à Jérusalem, où vous demandez dadorer, mais Dieu ici, près du puits, qui te parle et qui met ton récit sincère et ton histoire de femme dans un puits de miséricorde et toi, tu me donnes de leau parce que le don de Dieu est aussi le tien. Maintenant, tu Ladoreras en Esprit et en Vérité[16]. La miséricorde na pas besoin dêtre sculptée sur le frontispice du monument, mais elle a besoin «dentrailles» dhumanité pour parcourir aujourdhui les lieux de fatigue des êtres humains et les bords secs et austères de tant de marcheurs chargés de questions et fatigués par le poids injuste imposé par le pouvoir sans sainteté et sans sagesse. Le sanctuaire va avec la miséricorde. Il ne peut porter lamour sans ce visage affectueux qui lidentifie. La multitude qui le mendie et le recherche vient de partout. Il y a des rencontres imprévues et des événements inespérés. La miséricorde fait des merveilles et les étend à toute la terre. Etant entré dans la ville, encore en territoire dangereux, il traversait Jéricho quand il vit au loin un homme des plus riches, chef des collecteurs dimpôts, méfiant envers tous et mal considéré parce quil donnait son appui à lenvahisseur. Riche et petit, mais désireux de voir cette forme nouvelle et différente de se promener parmi les gens, de parler de nouveauté et de déchirer le cur anesthésié par la miséricorde. En aucune façon il ne voulait être vu ou montré, mais il souhaitait voir et peut-être «monter»; non pas parce quil navait pas un bon poste, mais peut-être la poussière lui brouillait-elle le regard quil souhaitait plus limpide. Dans sa petitesse dormait une grandeur, dun autre type et dailleurs. Il monta tout de suite, pour redescendre; il courut en avant pour revenir en arrière; il se percha pour se désinstaller. Et le sanctuaire de la miséricorde passa pour le contempler, pour mesurer lexcès de son désir et peut-être pour lui proposer dêtre dorénavant pèlerin. Rencontre inespérée de haut niveau ; chemin parcouru, plein de surprises; saut en lair, développant un mouvement intérieur imparable. Lange qui parla furent les «yeux» que Jésus leva en traversant cette ombre préparée par lEsprit: «Descend vite, car aujourdhui je dois rester chez toi»[17]. Et la voix de la miséricorde a vaincu, a atteint le cur, a développé le mouvement dans deux sens: celui de descendre aux choses pour les faire voler dans une direction différente, et celui dentrer dans la maison pour en faire, au long des jours, un autre sanctuaire de miséricorde. La miséricorde sest installée chez un pécheur[18], car cest pour cela quElle est venue au monde. Et lévénement soulève des murmures, parce quil produit de leffet. Cette «maison riche» va être le lieu de la distribution de pain; ce magasin de choses étrangères va être le lieu de la restitution au quadruple; et ce riche, donnant la moitié de ses biens aux pauvres, ne va pas devenir plus pauvre, mais il va acquérir le trésor de Dieu, son nom inscrit au Ciel. Cette maison est alors un sanctuaire de miséricorde: «Ce que tu as reçu gratuitement, donne-le gratuitement». La voix de celui qui chemine garantit que le salut est arrivé dans cette maison car la Miséricorde est entrée en territoire ennemi, a démoli les murs de séparation, a fait de cette maison de Jéricho, du côté du pouvoir établi, une demeure transformée, peut-être la «maison» dun disciple et, pour cela, une nouvelle tente de réunion avec Dieu, une présence de sa miséricorde. La miséricorde na pas de patrie mais elle passe dans toutes les patries; la miséricorde na pas de «maison», mais elle est dans toutes celles qui entendent la voix et laissent «entrer le salut». 5. Epuisée, mais non tarie, elle attend toujours. On la reçoit ou on sen écarte, mais la Miséricorde avance, passe au milieu de tous et vient pour tous; elle nexclut personne et ne juge pas davance, en fermant les portes. Elle parle à toutes les catégories de la société et sarrête surtout près de ceux qui ont mauvaise réputation. Elle est toujours en faveur des plus pauvres, des défavorisés selon le peuple et même des maltraités pour être considérés comme maîtres de la Loi quils imposent mais ne sont pas capables daccomplir ; ils remplissent leurs devoirs, mais séloignent de ce quils imposent aux autres. La Miséricorde sarrête, chaque fois quon linvite à rester. Leffet peut être imprévu et, à la fin, elle a changé le but de celui qui était déjà converti et qui portait en son cur ce désir inexprimable. Elle alla «chez un pharisien» qui eut lamabilité intelligente de linviter. «Elle entre aussi chez moi, disait-il», ou «sil nentre pas, il est comme nous, il parle bien, mais il ne fait pas». Et la Miséricorde est entrée. Et le pharisien a dû recevoir une «invitée» imposée, inespérée, connue de toute la ville et aussi de lui-même, pharisien, puisquil aurait dit «sil était prophète, il saurait qui elle est»[19]. Et ensuite, selon le récit, tous virent la scène de laprès-sépulcre, le résultat dune Pâques anticipée: pleurer, baigner de larmes, embrasser les pieds saints et embaumer avec le parfum de la Résurrection. La Miséricorde était là et la Pâques annoncée. Ce jour-là, la voix parla de nouveau; non pour trouver des raisons ou pour annuler des querelles, pas même pour provoquer un mal-être. La voix a parlé pour raconter un événement de miséricorde: les entrailles dune pécheresse reconnue souvrent et il en sort un parfum nouveau de résurrection Seul fait lexpérience de la miséricorde celui qui aime beaucoup, qui écoute assis à ses pieds, qui pleure lagonie dun innocent, qui essuie le sang versé et qui sempresse daller recevoir au tombeau le parfum nouveau de la Résurrection, en le versant sur le condamné. Et la voix poursuit: «tes péchés te sont pardonnés. La Pâques vient en toi. Ta foi ta sauvé. Va en Paix».[20] Il y aura toujours quelquun pour murmurer jusquà la fin. La miséricorde ne faiblira jamais; elle ne cessera jamais dêtre cette face inaltérable de lamour dune mère qui fera tout pour le bébé qui a déchiré ses entrailles. On la tourmentera tout au long dun dallage sinueux qui monte vers le haut lieu de la ville. Le sanctuaire nest plus sur lesplanade où lon marque, avec des coups sur la poitrine, les blessures des infidélités rachetées. Elle chemine vers la fin dun parcours de don, et, sur le chemin, elle rappelle à beaucoup une identité nouvelle qui leur a été donnée: «Filles, ne pleurez pas sur moi»[21]. Et quand elle arrive au lieu du calvaire, avant quon ne lui déchire physiquement la poitrine, il louvre volontairement en prononçant les paroles de lalliance définitive de la miséricorde: «Pardonne-leur, Père, car ils ne savent pas ce quils font» [22]. Elle reste là, les entrailles ouvertes et le cur offert. La «porte sainte» sest définitivement ouverte et, pour que ce ne soit pas seulement un bel adage de dernière heure ou une phrase toute faite duniversalité, voici que la voix de la miséricorde concrétise immédiatement lalliance scellée, juste à côté, avec un exclu par sa propre faute, avec un être évité parce que non sérieux, avec un des condamnés pour vol: «Aujourdhui, tu seras avec moi au Paradis»[23]. _____________________ La Pâques de la Miséricorde a commencé. Son sanctuaire marche dans le monde, sous de nombreux noms et invocations. Chaque être humain, né de la Pâques, porte cette marque de qualité: en parlant ou en faisant, en se taisant ou en priant, en aimant ou en pardonnant, en secourant ou en partageant, en intégrant ou en portant la paix, il se construit comme temple nouveau qui donne Dieu au monde. Et en faisant cette découverte de la miséricorde comme réalité pascale, le monde reviendra à Dieu. Il y aura dautres «fils» qui dilapident ce qui ne leur appartient pas encore, mais la Miséricorde sera toujours aux aguets à la fenêtre[24]. Cest elle qui fait être ; cest elle qui fait être saint. Je veux rappeler le geste divin du Pape Jean Paul II, déchirant le cur miséricordieux près de celui qui prémédita sa mort. Alors, le sanctuaire de Dieu est entré dans la prison. Je rappelle, en conclusion, le récit de miséricorde survenu ici à Lourdes, en 1958: Cétait en 1944, dans un village français: Autour de quelques verres, on discutait ferme du départ des troupes doccupation et de la libération intervenue la veille. Dans le feu de la conversation, quelquun parle dun de ses camarades denfance: Si le maquis savait ce quil a fait pendant la guerre, on ne le laisserait pas tranquille chez lui. Le bruit circule. Quelques jours après, on arrête cet homme. Le tribunal convoque celui dont la parole malheureuse a provoqué larrestation. Celui-ci, intimidé, affolé, nose pas avouer quil a parlé en lair. Il invente deux ou trois bobards assez énormes puisque le prévenu en prend pour vingt ans. Le condamné sombre alors dans le désespoir. À sa femme qui vient le voir de temps en temps, il demande quelle ne lui parle ni de Dieu, ni de religion. Quelques années après, leur fils unique est tué en Indochine. Et voici que sa femme meurt à son tour, emportée par la maladie et le chagrin. En 1957, il bénéficie dune réduction de peine. Il retrouve sa maison fermée depuis des mois. Or, sa femme lui a laissé une lettre. Il louvre. Je sais, lui dit-elle, quil ne faut plus te parler du Bon Dieu. Mais je te demande, par amour pour moi, de revenir à Lourdes, comme nous le faisions chaque année. En 1958, lannée du centenaire, il se décide. Arrivé à Lourdes, il entre dans le domaine de la Grotte. Au moment où il passe devant la fontaine, une jeune fille lui tend un gobelet. Il la dévisage, sétonne, et boit. Le voici devant la Grotte. Un prêtre prêche. Il prêche sur le Notre Père. Lorsque létrange pèlerin entend la phrase: Pardonne-nous comme nous pardonnons, son sang ne fait quun tour. A grands pas il quitte la Grotte. Il est midi. Après midi, pour tuer le temps, il revient visiter la nouvelle basilique Saint Pie X qui vient dêtre achevée. Le cur torturé, il sappuie un moment, le dos contre une des balustrades qui bordent les rampes daccès. Un prêtre le remarque: Monsieur, vous avez lair préoccupé. Que puis-je faire pour vous? Quelque chose lempêche de refuser ce dialogue. Son cur est trop gonflé. Il raconte. Et de conclure: Vous comprenez bien quil mest impossible de pardonner. Ma venue à Lourdes nest quun simulacre. Ce nest pas cela que ma femme aurait souhaité. Après un long silence, le prêtre lui dit simplement: Promettez-moi, pour votre femme, de revenir à la Grotte avant de reprendre le train. Il promit. Dès quil se trouve à la Grotte, on laborde à nouveau. Quelle surprise, cest la jeune fille qui, ce matin, lui tendait son gobelet. Monsieur, vous avez lair plus paisible. Mademoiselle, pourquoi ce gobelet ce matin? Je vous ai vu tellement torturé. Jai dit à la Vierge: oublie pourquoi je suis venue; joffre ce pèlerinage pour cet homme! Je vais dailleurs vous dire pourquoi jétais à Lourdes. Mon père est en train de mourir. Ce nest pas sa guérison que je demande. Mais il meurt avec un remords terrible, celui davoir fait injustement condamner à vingt ans de prison un de ses amis denfance. Le condamné, cest moi. La jeune fille prend peur, veut senfuir. Il la retient. Ne mabandonne pas. Je ne puis encore le dire moi-même, mais tu vas réciter le Notre Père, jusquau bout, de ma part. Et maintenant, allons ensemble, je veux essayer de dire mon pardon à ton père.[25]
Sugestão bibliográfica BENTO XVI Sacramento da Caridade. Lisboa: Paulinas, 2007. COMISSÃO TEOL-HIST. ANO 2000 Deus Pai de Misericórdia. Lisboa: Paulinas, 1998. CONGREGAÇÃO CLERO- Directório para o Ministério e a Vida dos Presbíteros. Lisboa: Rei dos Livros, 1994. O Presbítero: Mestre da Palavra, Ministro dos Sacramentos e Guia da Comunidade, em vista do Terceiro Milénio. Lisboa: Paulinas, 1999. JOÃO PAULO II Carta Encíclica Dives in Misericórdia. Braga: A.O. 1986 O Sacramento da Penitência. Lisboa: Paulinas, 1997. RAHNER, Karl Homélies et Méditations. Paris: Salvator, 2005. TASSIN, Claude et alt. Les Evangiles: Textes et Commentaires. Paris: Bayard, 2001. VIVARÈS, Patrice Le Pardon, chemin de lamour redonné. In Fraternité Saint Jean-Baptiste. 126 (2006), 6-9. [1] Cf. Note 9 de la Nouvelle Bible pour le Troisième Millénaire (Lc 1,9). [2] Cf. Lc 1, 11 [3] Cf. Lc 1, 15. [4] Cf. Lc 1, 19. [5] Cf. Lc 1, 39-45. [6] Cf. Lc 1, 67-80. [7] Cf. Lc 24, 32. [8] Is. 7, 14. [9] Cf. Lc 1, 32-33. [10] Cf. Jn 1, 14. [11] Cf. Lc 1, 39. [12] Lc 1, 50. [13] Cf. Lc 1, 46-56. [14] Cf. Jo 3, 5-8. [15] Cf. Jo, 4-26. [16] Cf. Ibidem, 19-24. [17] Cf. Lc 19, 5. [18] Cf. Lc 19, 7 et ss. [19] Cf. Lc 7, 39. [20] Cf. Lc 7, 48-50. [21] Cf. Lc 23,28. [22] Cf. Lc 23,34. [23] Cf. Lc 23, 43. [24] Cf. Lc 15. [25] Recueilli à léglise Saint-Jean Baptiste de Sallespisse (Orthez, France), le 15.08.2007.
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