DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS
AUX MEMBRES DU CORPS DIPLOMATIQUE ACCRÉDITÉS AUPRÈS DU SAINT-SIÈGE
À L'OCCASION DE LA PRÉSENTATION DES VŒUX POUR LA NOUVELLE ANNÉE
Salle Royale
Lundi 7 janvier 2019
Excellences, Mesdames et Messieurs,
le début d’une nouvelle année nous permet d’arrêter pour un instant la succession frénétique des activités quotidiennes pour tirer quelques considérations sur les évènements passés et réfléchir sur les défis qui nous attendent dans le proche avenir. Je vous remercie d’être présents nombreux à notre rencontre habituelle, qui entend être surtout l’occasion propice pour nous adresser des pensées cordiales et riches de bons vœux. A travers vous, que ma proximité rejoigne les peuples que vous représentez, unie au souhait que l’année qui vient de commencer apporte paix et bien-être à chaque membre de la famille humaine.
J’exprime ma gratitude particulière à l’Ambassadeur de Chypre, Son Excellence Monsieur Georges Poulides, pour les aimables paroles qu’il m’a adressées pour la première fois au nom de vous tous, en qualité de Doyen du Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège. A chacun de vous je désire dire combien j’apprécie l’œuvre que vous accomplissez au quotidien pour consolider les relations entre vos respectifs Pays et Organisations et le Saint-Siège, renforcées encore par la signature ou la ratification de nouveaux accords.
Je me réfère en particulier à la ratification de l’Accord Cadre entre le Saint-Siège et la République du Bénin sur le Statut juridique de l’Église catholique au Bénin, ainsi qu’à la signature et à la ratification de l’Accord entre le Saint-Siège et la République de San Marin pour l’Enseignement de la Religion catholique dans les écoles publiques.
Dans le cadre multilatéral, le Saint-Siège a ratifié aussi la Convention Régionale de l’UNESCO sur la reconnaissance des qualifications de l’enseignement supérieur en Asie et dans le Pacifique, et en mars dernier, a adhéré à l’Accord partiel élargi sur les Itinéraires culturels du Conseil de l’Europe, une initiative qui se propose de montrer comment la culture est au service de la paix et représente un facteur unifiant pour les différentes sociétés européennes, en mesure d’accroître la concorde entre les peuples. Il s’agit d’un signe d’attention particulière envers une Organisation, dont on célèbre cette année le 70ème anniversaire de la fondation, avec laquelle le Saint-Siège collabore depuis de nombreuses décennies et dont il reconnaît le rôle spécifique dans la promotion des droits humains, de la démocratie et de l’État de droit, dans un espace qui veut embrasser le continent européen tout entier. Enfin, le 30 novembre dernier, l’État de la Cité du Vatican a été admis dans l’Aire unique pour les paiements en Euro (SEPA).
L’obéissance à la mission spirituelle, qui jaillit de l’impératif que le Seigneur Jésus a adressé à l’apôtre Pierre : « Sois le berger de mes agneaux » (Jn 21, 15), pousse le Pape – et donc le Saint-Siège – à se préoccuper de la famille humaine tout entière et de ses nécessités également d’ordre matériel et social. Toutefois, le Saint-Siège n’entend pas s’ingérer dans la vie des États, mais il aspire à être un auditeur attentif et sensible aux problématiques qui concernent l’humanité, avec le désir humble et sincère de se placer au service du bien de tout être humain.
C’est cette attention prévenante qui caractérise le rendez-vous d’aujourd’hui et qui me soutient dans les rencontres avec les nombreux pèlerins qui viennent au Vatican de toutes les parties du monde, comme aussi avec les peuples et les communautés que j’ai eu la joie de rejoindre l’année dernière, à travers les voyages apostoliques accomplis au Chili, au Pérou, en Suisse, en Irlande, en Lituanie, en Lettonie et en Estonie.
C’est cette attention prévenante qui pousse l’Église en tout lieu à s’engager pour favoriser l’édification de sociétés pacifiques et réconciliées. Dans cette perspective, je pense particulièrement au Nicaragua bien-aimé, dont je suis la situation de près, avec le souhait que les différentes instances politiques et sociales trouvent dans le dialogue, la voie royale pour se rencontrer pour le bien de la Nation tout entière.
Dans cet horizon, se situe aussi la consolidation des relations entre le Saint-Siège et le Vietnam, en vue de la nomination, dans un proche avenir, d’un Représentant pontifical résident, dont la présence veut surtout être une manifestation de la sollicitude du Successeur de Pierre pour l’Église locale.
D’une façon analogue doit s’entendre la signature de l’Accord provisoire entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine sur la nomination des Evêques en Chine, qui a eu lieu 22 septembre dernier. Comme vous le savez, il est le fruit d’un dialogue institutionnel long et réfléchi, au moyen duquel on est parvenu à fixer quelques éléments stables de collaboration entre le Siège Apostolique et les Autorités civiles. Comme j’ai eu l’occasion de le mentionner dans le Message que j’ai adressé aux Catholiques chinois et à l’Église universelle,[1] déjà auparavant j’avais réadmis dans la pleine communion ecclésiale les Evêques officiels restant ordonnés sans mandat pontifical, les invitant à œuvrer avec générosité pour la réconciliation des Catholiques chinois et pour un élan renouvelé d’évangélisation. Je remercie le Seigneur car, pour la première fois depuis tant d’années, tous les Evêques en Chine soient en pleine communion avec le Successeur de Pierre et avec l’Église universelle. Et un signe visible de cela a aussi été la participation de deux Évêques de la Chine continentale au récent Synode consacré aux Jeunes. On souhaite que la poursuite des contacts sur l’application de l’Accord provisoire paraphé contribue à résoudre les questions ouvertes et à assurer ces espaces nécessaires pour une jouissance effective de la liberté religieuse.
Chers Ambassadeurs,
l’année qui vient de commencer voit pointer à l’horizon divers anniversaires significatifs, outre celui du Conseil de l’Europe rappelé tout à l’heure. Parmi ceux-ci, je voudrais en mentionner particulièrement un : le centenaire de la Société des Nations, instituée avec le Traité de Versailles signé le 28 juin 1919. Pourquoi se souvenir d’une Organisation qui aujourd’hui n’existe plus ? Parce qu’elle représente le début de la diplomatie moderne multilatérale, par laquelle les États tentent de soustraire les relations réciproques à la logique de l’oppression qui conduit à la guerre. L’expérience de la Société des Nations a rencontré bien vite ces difficultés, connues de tous, qui amenèrent exactement vingt années après sa naissance à un nouveau et plus déchirant conflit, celui de la Seconde Guerre mondiale. Néanmoins, elle a ouvert une route, qui sera prise avec la plus grande détermination par l’institution en 1945 de l’Organisation des Nations Unies : une route certainement hérissée de difficultés et d’oppositions ; pas toujours efficace puisque les conflits malheureusement perdurent aussi aujourd’hui ; mais qui cependant est toujours une opportunité incontestable pour les nations de se rencontrer et de rechercher des solutions communes.
Les prémisses indispensables du succès de la diplomatie multilatérale sont la bonne volonté et la bonne foi des interlocuteurs, la disponibilité à une confrontation loyale et sincère et la volonté d’accepter les inévitables compromis qui naissent de la confrontation entre les parties. Là où même un seul de ces éléments vient à manquer, domine la recherche de solutions unilatérales et, en dernière instance, l’oppression du plus fort sur le plus faible. La Société des Nations est entrée en crise justement pour ces motifs et, malheureusement, on note que les mêmes attitudes aussi aujourd’hui sont en train de saper la capacité des principales Organisations internationales.
Je retiens donc qu’il est important qu’également dans le temps présent, ne diminue pas la volonté d’une confrontation sereine et constructive entre les États, alors qu’il est bien évident que les relations au sein de la communauté internationale et le système multilatéral dans sa complexité traversent des moments difficiles, avec la réémergence des tendances nationalistes, qui minent la vocation des Organisations internationales à être un espace de dialogue et de rencontre pour tous les pays. Cela est en partie dû à une certaine incapacité du système multilatéral à offrir des solutions efficaces à diverses situations irrésolues depuis longtemps, comme certains conflits “gelés”, et à affronter les défis actuels de manière satisfaisante pour tous. C’est en partie le résultat de l’évolution des politiques nationales, toujours plus fréquemment déterminées par la recherche d’un consensus immédiat et intransigeant, plutôt que par la poursuite patiente du bien commun avec des réponses à long terme. C’est aussi en partie le résultat de la prépondérance accrue dans les Organisations internationales de pouvoirs et de groupes d’intérêts qui imposent leurs visions et leurs idées, amorçant de nouvelles formes de colonisation idéologique, souvent irrespectueuses de l’identité, de la dignité et de la sensibilité des peuples. C’est en partie la conséquence de la réaction dans certaines parties du monde d’une globalisation qui s’est développée trop rapidement dans certains aspects et de façon désordonnée, si bien que se produit une tension entre la globalisation et la localisation. Il faut donc prêter attention à la dimension globale sans perdre de vue ce qui est local. Devant l’idée d’une globalisation sphérique, qui nivelle les différences et dans laquelle les particularités semblent disparaître, il est facile que reémergent les nationalismes, tandis que la globalisation peut être aussi une opportunité, dès lors qu’elle est “polyédrique”, c’est-à-dire qu’elle favorise une tension positive entre l’identité de chacun des peuples et pays et la globalisation même, selon le principe que le tout est supérieur à la partie.[2]
Certaines de ces attitudes renvoient à la période entre les deux guerres mondiales, durant laquelle les propensions populistes et nationalistes ont prévalu sur l’action de la Société des Nations. La réapparition aujourd’hui de telles pulsions affaiblit progressivement le système multilatéral, avec le résultat d’un manque de confiance général, d’une crise de crédibilité de la politique internationale et d’une marginalisation progressive des membres les plus vulnérables de la famille des nations.
Dans son discours mémorable à l’Assemblée des Nations Unies – le premier d’un Pontife devant cette Assemblée – saint Paul VI, que j’ai eu la joie de canoniser l’année dernière, a tracé la finalité de la diplomatie multilatérale, ses caractéristiques et ses responsabilités dans le contexte contemporain, mettant en évidence aussi les éléments de contact qui existent avec la mission spirituelle du Pape et donc du Saint-Siège.
Le primat de la justice et du droit
Le premier élément de contact que je voudrais rappeler est le primat de la justice et du droit : « Vous sanctionnez –a dit le Pape Montini- le grand principe que les rapports entre les peuples doivent être réglés par la raison, par la justice, le droit, et la négociation, et non par la force, ni par la violence, ni par la guerre, non plus que par la peur et par la tromperie ».[3]
A notre époque, est préoccupante la réémergence de la tendance à faire prévaloir et à poursuivre les intérêts particuliers nationaux sans recourir à ces instruments que le droit international prévoit pour résoudre les controverses et assurer le respect de la justice, notamment grâce aux tribunaux internationaux. Cette attitude est parfois le fruit de la réaction de ceux qui sont appelés à la responsabilité de gouverner devant un mal-être accentué qui se développe toujours plus parmi les citoyens de nombreux pays, qui perçoivent les dynamiques et les règles qui gouvernent la communauté internationale comme lentes, abstraites et en dernière analyse éloignées de leurs besoins effectifs. Il est opportun que les personnalités politiques écoutent les voix de leurs peuples et qu’elles recherchent des solutions concrètes pour en favoriser le plus grand bien. Cela exige toutefois le respect du droit et de la justice, aussi bien à l’intérieur des communautés nationales qu’au sein de la communauté internationale, parce que des solutions réactives, émotives et hâtives peuvent amplifier un consensus à court terme, mais ne contribueront certainement pas à la solution des problèmes plus radicaux, au contraire elles les augmenteront.
C’est justement à partir de cette préoccupation que j’ai souhaité consacrer le Message pour la LII (52)ème Journée Mondiale de la Paix, célébrée le 1er janvier dernier, au thème :“La bonne politique est au service de la Paix”, puisqu’il y a une étroite relation entre la bonne politique et la coexistence pacifique entre les peuples et les nations. La paix n’est jamais un bien partiel, mais elle embrasse tout le genre humain. Un aspect essentiel, donc, de la bonne politique est celui de poursuivre le bien commun de tous, en tant que « bien de tous les hommes et de tout l’homme »[4] et condition sociale qui permet à chaque personne et à la communauté tout entière d’atteindre son bien-être matériel et spirituel.
Il est demandé à la politique d’être prévoyante, de ne pas se limiter à chercher des solutions à court terme. Le bon politicien ne doit pas occuper des espaces, mais engager des processus ; il est appelé à faire prévaloir l’unité sur le conflit, unité à la base de laquelle il y a « la solidarité, entendue en son sens le plus profond et comme défi ». Elle « devient ainsi une manière de faire l’histoire, un domaine vital où les conflits, les tensions, et les oppositions peuvent atteindre une unité multiforme, unité qui engendre une nouvelle vie ».[5]
Cette considération tient compte de la dimension transcendante de la personne humaine, créée à l’image et à la ressemblance de Dieu. Le respect, donc, de la dignité de tout être humain est la condition indispensable à toute coexistence réellement pacifique, et le droit constitue l’instrument essentiel pour l’obtention de la justice sociale et pour nourrir des liens fraternels entre les peuples. Dans ce domaine, un rôle fondamental est joué par les droits humains, énoncés dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, dont nous avons célébré il y a peu le 70ème anniversaire, dont il serait opportun de redécouvrir le caractère universel, objectif et rationnel, afin que ne dominent pas des visions partielles et subjectives de l’homme, qui risquent d’ouvrir la voie à de nouvelles inégalités, injustices, discriminations et, à l’extrême, aussi à de nouvelles violences et de nouveaux abus.
La défense des plus faibles
Le second élément que je voudrais rappeler est la défense des plus faibles. « Nous faisons nôtre aussi – a affirmé le Pape Montini – la voix des pauvres, des déshérités, des malheureux, de ceux qui aspirent à la justice, à la dignité de vivre, à la liberté, au bien-être et au progrès ».[6]
L’Église est depuis toujours engagée dans l’aide à celui qui est dans le besoin et le Saint-Siège lui-même s’est fait, au cours de ces années, le promoteur de différents projets en vue du soutien des plus faibles, qui ont reçu aussi un appui de la part de divers sujets au niveau international. Parmi ceux-ci, je voudrais citer l’initiative humanitaire en Ukraine en faveur de la population qui souffre, surtout dans les régions orientales du pays, en raison d’un conflit qui dure depuis presque cinq années et qui a eu récemment des développements préoccupants dans la région de la Mer Noire. Grâce à une participation active des Eglises catholiques d’Europe et des fidèles des autres parties du monde qui ont répondu à mon appel de mai 2016, et avec la collaboration d’autres Confessions et des Organisations internationales, on a cherché à répondre, de manière concrète, aux premières nécessités des habitants des territoires touchés, qui sont les premières victimes de la guerre. L’Eglise et ses différentes institutions poursuivront cette mission qui est la leur, dans l’intention d’attirer une plus grande attention aussi sur les autres questions humanitaires, parmi lesquelles celle concernant le sort des prisonniers, toujours nombreux. Avec ce qui s’est fait et la proximité à la population, l’Eglise cherche à encourager, directement et indirectement, des parcours pacifiques pour la solution du conflit, parcours respectueux de la justice et de la légalité, y compris internationale, fondement de la sécurité et du vivre ensemble pour la région tout entière. Dans ce but, les instruments qui garantissent le libre exercice des droits religieux sont importants.
De son côté, la communauté internationale aussi avec ses organisations est appelée à donner voix à qui n’a pas de voix. Et parmi les sans voix de notre temps, je voudrais rappeler les victimes des autres guerres en cours, spécialement de celle en Syrie, avec le nombre considérable de morts qu’elle a causé. Encore une fois, je fais appel à la communauté internationale afin qu’elle favorise une solution politique à un conflit qui verra à la fin seulement des vaincus. Il est surtout fondamental que cessent les violations du droit humanitaire, qui provoquent d’indicibles souffrances à la population civile, spécialement aux femmes et aux enfants, et frappent des structures essentielles comme les hôpitaux, les écoles et les camps de réfugiés, ainsi que des édifices religieux.
On ne peut ensuite oublier les nombreux réfugiés que le conflit a causés, mettant surtout à rude épreuve les pays limitrophes. Encore une fois, je veux exprimer ma gratitude à la Jordanie et au Liban qui ont accueilli avec un esprit fraternel et au prix de sacrifices non négligeables un grand nombre de personnes, en souhaitant en même temps que les réfugiés puissent rentrer chez eux, dans des conditions de vie et de sécurité adéquates. Ma pensée va aussi aux différents pays européens qui ont généreusement offert l’hospitalité à qui se trouvait en difficulté et en danger.
Parmi ceux qui ont été touchés par l’instabilité qui, depuis des années marque le Moyen Orient, il y a particulièrement les chrétiens, qui habitent ces terres depuis le temps des Apôtres et qui au cours des siècles ont contribué à les édifier et à les façonner. Il est extrêmement important que les chrétiens aient une place dans l’avenir de la Région, et j’encourage donc ceux qui ont cherché refuge dans d’autres lieux à tout mettre en œuvre pour rentrer chez eux et, en tout cas, à maintenir et à renforcer les liens avec les communautés d’origine. En même temps, je souhaite que les autorités politiques ne manquent pas de garantir leur nécessaire sécurité et toutes les autres conditions qui leur permettent de continuer à vivre dans les pays dont ils sont citoyens à part entière, et de contribuer à leur construction.
Malheureusement, au cours de ces années, la Syrie et en général tout le Moyen Orient se sont trouvés être le théâtre de conflits de multiples intérêts opposés. Outre les intérêts prééminents de nature politique et militaire, il ne faut pas négliger aussi la tentative d’interposer l’inimitié entre musulmans et chrétiens. Même si « au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans »[7], en différents lieux du Moyen Orient, ils ont pu pendant longtemps vivre ensemble pacifiquement. Prochainement, j’aurai l’occasion de me rendre dans deux pays à majorité musulmane, le Maroc et les Emirats Arabes Unis ; Il s’agira de deux opportunités importantes pour développer davantage le dialogue interreligieux et la connaissance réciproque entre les fidèles des deux religions, lors du 8ème centenaire de la rencontre historique entre saint François d’Assise et le sultan al-Malik al-Kãmil.
Parmi les personnes vulnérables de notre temps que la communauté internationale est appelée à défendre, il y a également, avec les réfugiés, les migrants. Encore une fois je désire attirer l’attention des gouvernements, afin qu’ils viennent en aide à ceux qui ont dû émigrer en raison du fléau de la pauvreté, de toute sorte de violence et de persécutions, comme aussi des catastrophes naturelles et des bouleversements climatiques, et afin que soient facilitées les mesures qui permettent leur intégration sociale dans les pays d’accueil. Il faut ensuite qu’on s’emploie à ce que les personnes ne soient pas contraintes d’abandonner leur propre famille et nation, ou puissent y retourner en sécurité et dans le plein respect de leur dignité et de leurs droits humains. Chaque être humain aspire à une vie meilleure et plus heureuse et ne peut se résoudre au défi de la migration avec la logique de la violence et du rejet, ni avec des solutions partielles.
Je ne peux donc qu’être reconnaissant pour les efforts de nombreux gouvernements et institutions qui, poussés par un généreux esprit de solidarité et de charité chrétienne collaborent fraternellement en faveur des migrants. Parmi eux, je désire mentionner la Colombie qui, avec d’autres pays du continent, dans les derniers mois, a accueilli un nombre considérable de personnes provenant du Venezuela. En même temps, je suis conscient que les flux migratoires de ces années ont causé méfiance et préoccupation dans la population de nombreux pays, spécialement en Europe et dans l’Amérique du Nord, et cela a poussé différents gouvernements à limiter fortement les flux d’entrée, même s’il s’agit de transit. Je retiens toutefois, qu’à une question aussi universelle on ne peut donner des solutions partielles. Les urgences récentes ont montré qu’une réponse commune est nécessaire, réponse concertée par tous les pays, sans barrages et dans le respect de chaque instance légitime, aussi bien des États que des migrants et des réfugiés.
Dans cette perspective, le Saint-Siège s’emploiera activement dans les négociations pour l’adoption des deux Pactes globaux sur les réfugiés et sur la Migration sûre, ordonnée et régulière. En particulier, le Pacte sur les migrations constitue un important pas en avant pour la communauté internationale qui, dans le cadre des Nations Unies, affronte pour la première fois, au niveau multilatéral, le thème dans un document d’importance. Malgré la non-obligation juridique de ces documents et l’absence de différents gouvernements à la récente Conférence des Nations Unies à Marrakech, les deux Pactes seront d’importants points de référence pour l’engagement politique et pour l’action concrète d’organisations internationales, législatives et politiques, comme aussi pour ceux qui sont engagés pour une gestion plus responsable, coordonnée et sûre des situations qui concernent les réfugiés et les migrants à différents titres. De ces deux Pactes, le Saint-Siège apprécie l’intention et le caractère qui en facilitent la mise en pratique, tout en ayant exprimé des réserves sur ces documents, réclamés dans le Pacte concernant les migrations, qui contiennent des terminologies et des lignes guides qui ne correspondent pas à ses principes sur la vie et les droits des personnes.
Parmi les autres personnes vulnérables, « nous avons conscience de faire nôtre – a continué Paul VI - la voix […] des jeunes générations d'aujourd'hui, attendant à bon droit une humanité meilleure ».[8] Aux jeunes, qui tant de fois se sentent perdus et privés de certitudes pour l’avenir, a été consacrée la XVème Assemblée Générale Ordinaire du Synode des Évêques. Ils seront aussi les protagonistes du voyage apostolique que j’accomplirai à Panama d’ici quelques jours à l’occasion des XXXIVème Journées mondiales de la Jeunesse. Les jeunes sont l’avenir, et une tâche de la politique est d’ouvrir les routes de l’avenir. Pour cela, il est plus que jamais nécessaire d’investir dans des initiatives qui permettent aux prochaines générations de se construire un avenir, en ayant la possibilité de trouver du travail, de former une famille et de faire grandir des enfants.
A côté des jeunes, les enfants méritent une mention particulière, spécialement en cette année qui célèbre le 30ème anniversaire de l’adoption de la Convention sur les droits de l’enfant. Il s’agit d’une occasion propice pour une réflexion sérieuse sur les pas accomplis pour veiller sur le bien de nos petits et sur leur développement social et intellectuel, comme aussi sur leur croissance physique, psychique et spirituelle. Dans cette circonstance, je ne peux pas taire une des plaies de notre temps, qui malheureusement a vu comme protagonistes aussi divers membres du clergé. Les abus contre les mineurs constituent un des crimes les plus vils et les plus néfastes possible. Ils balaient inexorablement le meilleur de ce que la vie humaine réserve à un innocent, en causant des dégâts irréparables pour le reste de l’existence. Le Saint-Siège et l’Église tout entière s’engagent à combattre et à prévenir de tels délits et leur dissimulation, pour établir la vérité des faits dans lesquels sont impliqués des ecclésiastiques et pour rendre justice aux mineurs qui ont subi des violences sexuelles, aggravées par des abus de pouvoir et de conscience. La rencontre que j’aurai avec les épiscopats du monde entier en février prochain entend être un pas supplémentaire sur le chemin de l’Église, pour faire une pleine lumière sur des faits et adoucir les blessures causées par de tels délits.
Il est regrettable de constater que dans nos sociétés, tant de fois caractérisées par des contextes familiaux fragiles, se développent des comportements violents même dans les relations envers les femmes, dont la dignité a été au centre de la Lettre apostolique Mulieris dignitatem, publiée il y a 30 ans par le saint Pape Jean-Paul II. Devant la plaie des abus physiques et psychologiques sur les femmes, il y a urgence à redécouvrir des formes de relations justes et équilibrées, basées sur le respect et sur la reconnaissance réciproque, dans lesquels chacun puisse exprimer de manière authentique sa propre identité, tandis que la promotion de certaines formes d’indifférenciation risque de dénaturer l’être humain lui-même, homme ou femme.
L’attention pour les plus vulnérables nous pousse à réfléchir aussi sur une autre plaie de notre temps, à savoir les conditions des travailleurs. S’il n’est pas suffisamment protégé, le travail cesse d’être le moyen par lequel l’homme se réalise et devient une forme moderne d’esclavage. Il y a cent ans, naissait l’Organisation Internationale du Travail, qui s’est employée à favoriser des conditions adéquates de travail et à accroître la dignité des travailleurs eux-mêmes. Devant les défis de notre temps, et en premier lieu, le croissant développement technologique qui soustrait des postes de travail et la diminution des garanties économiques et sociales pour les travailleurs, j’exprime le souhait que l’Organisation Internationale du Travail continue d’être, au-delà des intérêts partiels, un exemple de dialogue et de concertation pour la réalisation de ses objectifs élevés. Dans cette mission qui est la sienne, elle est appelée à affronter également, avec d’autres instances de la communauté internationale, la plaie du travail des mineurs et des nouvelles formes d’esclavage, de même qu’une diminution progressive de la valeur des rétributions, spécialement dans les pays développés, et la discrimination persistante des femmes dans le milieu du travail.
Etre pont entre les peuples et constructeurs de la paix.
Dans son intervention aux Nations Unies, saint Paul VI a montré clairement l’objectif principal de cette Organisation internationale. « Vous existez et vous travaillez pour unir les nations, pour associer les États, […] pour mettre ensemble les uns avec les autres. Vous êtes un pont entre les peuples. […] Il suffit de rappeler que le sang de millions d'hommes, que des souffrances inouïes et innombrables, que d'inutiles massacres et d'épouvantables ruines sanctionnent le pacte qui vous unit, en un serment qui doit changer l'histoire future du monde : jamais plus la guerre, jamais plus la guerre! C'est la paix, la paix, qui doit guider le destin des peuples et de toute l'humanité! […] La paix, vous le savez, ne se construit pas seulement au moyen de la politique et de l'équilibre des forces et des intérêts. Elle se construit avec l'esprit, les idées, les œuvres de la paix ».[9]
Au cours de l’année dernière, quelques signes de paix significatifs se sont produits, à commencer par l’Accord historique entre l’Ethiopie et l’Erythrée qui met fin à vingt ans de conflit, et qui rétablit les relations diplomatiques entre les deux pays. De même, l’entente signée par les leaders du Sud Soudan, qui permet de reprendre la cohabitation civile et de réactiver le fonctionnement des institutions nationales, est un signe d’espérance pour le continent africain où, cependant, demeurent de graves tensions et où la pauvreté est répandue. Je suis avec une attention particulière l’évolution de la situation en République Démocratique du Congo, exprimant le souhait que le pays puisse retrouver la réconciliation qui tarde depuis longtemps et entreprendre un chemin décidé vers le développement, mettant fin à l’état persistant d’insécurité qui touche des millions de personnes, parmi lesquelles, de nombreux enfants. Dans ce sens, le respect du résultat électoral est un facteur déterminant pour une paix durable. De même, j’exprime ma proximité à ceux qui souffrent à cause de la violence fondamentaliste, spécialement au Mali, au Niger et au Nigeria, ou en raison des tensions internes persistantes au Cameroun, qui sèment souvent la mort, y compris parmi la population civile.
Dans l’ensemble, il convient aussi de remarquer que l’Afrique, au-delà de plusieurs événements dramatiques, montre un dynamisme potentiel positif, enraciné dans sa culture ancienne et dans son accueil traditionnel. Un exemple de solidarité effective entre les nations se rencontre en plusieurs pays dans l’ouverture des frontières pour accueillir généreusement les réfugiés et les personnes déplacées. Il faut apprécier le fait qu’en de nombreux États, la coexistence pacifique entre les croyants de diverses religions grandit, et que les initiatives communes de solidarité sont favorisées. De plus, la mise en œuvre de politiques inclusives et les progrès des processus démocratiques sont en train de donner, en de nombreuses régions, des résultats efficaces pour combattre la pauvreté absolue et promouvoir la justice sociale. Le soutien de la communauté internationale devient donc encore plus urgent pour favoriser le développement des infrastructures, la construction de perspectives pour les jeunes générations et l’émancipation des catégories les plus faibles.
Des signes positifs sont parvenus de la péninsule coréenne. Le Saint Siège regarde favorablement les dialogues et souhaite qu’ils puissent affronter les questions les plus complexes dans une attitude constructive, et conduire à des solutions partagées et durables, en sorte d’assurer un avenir de développement et de coopération pour tout le peuple coréen et pour toute la région.
Je formule des souhaits comparables pour le Venezuela bien-aimé, afin que soient trouvés des moyens institutionnels et pacifiques pour résoudre la crise politique, sociale et économique, des moyens qui permettent avant tout d’assister ceux qui sont éprouvés et d’offrir à tout le peuple vénézuélien un horizon d’espérance et de paix.
Le Saint Siège souhaite aussi que le dialogue entre Israéliens et Palestiniens puisse reprendre, afin qu’il soit possible enfin de parvenir à une entente et de donner une réponse aux légitimes aspirations des deux peuples, garantissant la coexistence de deux États et l’instauration d’une paix longuement attendue et désirée. L’engagement unanime de la Communauté internationale est plus que jamais précieux et nécessaire pour atteindre cet objectif, comme aussi pour favoriser la paix dans toute la région, en particulier au Yémen et en Irak, et pour permettre, en même temps, d’apporter les aides humanitaires nécessaires aux populations qui sont dans le besoin.
Repenser notre destin commun
Enfin, je voudrais rappeler un quatrième trait de la diplomatie multilatérale : il nous invite à repenser notre destin commun. Paul VI l’a dit en ces termes : « Nous devons nous habituer à penser d'une manière nouvelle […] la vie en commun des hommes, d'une manière nouvelle les chemins de l'histoire et les destins du monde. […] Voici arrivée l’heure […] de repenser à notre commune origine, à notre histoire, à notre destin commun. Jamais comme aujourd'hui, dans une époque marquée par un tel progrès humain, n'a été aussi nécessaire l'appel à la conscience morale de l'homme. Car le péril ne vient, ni du progrès, ni de la science. […] Le vrai péril se tient dans l'homme, qui dispose d'instruments toujours plus puissants, aptes aussi bien à la ruine qu'aux plus hautes conquêtes ».[10]
Dans le contexte de l’époque, le Pontife faisait référence essentiellement à la prolifération des armes nucléaires. « Les armes – disait-il - surtout les terribles armes que la science moderne [nous] a données, avant même de causer des victimes et des ruines, engendrent de mauvais rêves, alimentent de mauvais sentiments, créent des cauchemars, des défiances, de sombres résolutions; elles exigent d'énormes dépenses; elles arrêtent les projets de solidarité et d'utile travail; elles faussent la psychologie des peuples ».[11]
Malheureusement, il est douloureux de constater que, non seulement le marché des armes ne semble pas sur le point de s’arrêter, mais qu’il y a, au contraire, une tendance toujours plus répandue à s’armer, tant de la part des individus que de la part des États. Il est préoccupant, en particulier, que le désarmement nucléaire, largement souhaité et en partie obtenu au cours des décennies passées, laisse maintenant place à la recherche de nouvelles armes toujours plus sophistiquées et destructrices. Devant cette assemblée, je veux répéter que « nous ne pouvons pas non plus manquer d’éprouver un vif sentiment d’inquiétude si nous considérons les conséquences humanitaires et environnementales catastrophiques qui découlent de tout recours aux armes nucléaires. C’est pourquoi, en tenant compte notamment du risque d’une explosion accidentelle de telles armes due à n’importe quel type d’erreur, il faut condamner fermement la menace de leur usage - j'ajouterais aussi l'immoralité de leur usage -, ainsi que leur possession, précisément parce que leur existence est liée à une logique de peur qui ne concerne pas seulement les parties en conflit, mais tout le genre humain. Les relations internationales ne peuvent être dominées par la force militaire, par les intimidations réciproques, par l’ostentation des arsenaux de guerre. Les armes de destruction de masse, en particulier les armes atomiques, n’engendrent qu’un sentiment trompeur de sécurité et ne peuvent constituer la base d’une coexistence pacifique entre les membres de la famille humaine qui doit en revanche s’inspirer d’une éthique de solidarité ».[12]
Repenser notre destin commun dans le contexte actuel signifie aussi repenser le rapport avec notre planète. Cette année encore, le désarroi et des souffrances indicibles, provoqués par les déluges, les inondations, les incendies, les tremblements de terre et les sécheresses, ont frappé durablement les populations de diverses régions du continent américain et du Sud-Est asiatique. Parmi les questions sur lesquelles il est particulièrement urgent de trouver un accord au sein de la communauté internationale, il y a donc la protection de l’environnement et le changement climatique. A cet égard, à la lumière du consensus atteint à la récente Conférence internationale sur le climat (COP-24) qui s’est tenue à Katowice, je souhaite un engagement plus décidé de la part des États à renforcer la collaboration pour combattre avec urgence le phénomène préoccupant du réchauffement global. La terre est à tous, et les conséquences de son exploitation retombent sur toute la population mondiale, avec des effets plus dramatiques en certaines régions. Parmi elles, il y a l’Amazonie qui sera au centre de la prochaine Assemblée Spéciale du Synode des Évêques, prévue au Vatican au mois d’octobre, laquelle, bien que traitant principalement des chemins d’évangélisation pour le peuple de Dieu, ne manquera pas non plus d’affronter les problématiques environnementales en relation étroite avec les retombées sociales.
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin tombait. A partir de là, disparaissait en peu de mois le dernier reliquat du second conflit mondial : la déchirante division de l’Europe décidée à Yalta et la guerre froide. Les pays à l’est du rideau de fer ont retrouvé leur liberté après des décennies d’oppression, et beaucoup d’entre eux ont commencé à s’acheminer sur la voie qui devait les conduire à adhérer à l’Union Européenne. Dans le contexte actuel, où prévalent de nouvelles poussées centrifuges ainsi que la tentation de construire de nouveaux rideaux, que ne se perde pas en Europe la conscience des bienfaits – en premier lieu la paix – apportés par le chemin d’amitié et de rapprochement entre les peuples entrepris depuis l’après-guerre.
Je voudrais enfin faire mention aujourd’hui d’un dernier anniversaire. Le 11 février, il y a quatre-vingt-dix ans, naissait l’État de la Cité du Vatican, à la suite de la signature des Accords du Latran entre le Saint Siège et l’Italie. S’achevait ainsi la longue période de la “question romaine” faisant suite à la prise de Rome et à la fin des États pontificaux. Avec les Accords du Latran, le Saint-Siège pouvait disposer de « ce territoire matériel suffisant qui est indispensable à l’exercice d’un pouvoir spirituel confié aux hommes aux bénéfice des hommes »,[13] comme l’affirma Pie XI, et, avec le Concordat, l’Eglise a pu de nouveau contribuer pleinement à la croissance spirituelle et matérielle de Rome et de toute l’Italie, une terre riche d’histoire, d’art et de culture, que le christianisme a contribué à forger. A cette occasion, j’assure le peuple italien d’une prière spéciale pour que, dans la fidélité à ses traditions, il maintienne vivant cet esprit de fraternelle solidarité qui l’a longtemps distingué.
A vous tous, chers Ambassadeurs et Hôtes distingués venus ici, et à vos pays, je présente mes vœux cordiaux pour que l’année nouvelle permette de renforcer les liens d’amitié qui nous unissent et d’œuvrer pour construire la paix à laquelle le monde aspire.
Merci !
[1] Cf. Message aux Catholiques chinois et à l’Église universelle, 26 septembre 2018, n.3.
[2] Cf. Exhort. apost. Evangelii gaudium, 24 novembre 2013, n. 234.
[3] Paul VI, Discours aux Nations Unies, New York, 4 octobre 1965, n. 2.
[4] Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n. 165.
[5] Exhort. Apost. Evangelii gaudium, 24 novembre 2013, n. 228.
[6] Discours aux Nations Unies, n. 1.
[7] Conc. Œcum. Vat. II Décl. Nostra aetate sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, 28 octobre 1965, n. 3.
[8] Discours aux Nations Unies, n. 1.
[9] Ibid., nn. 3; 5.
[10] Ibid., n.7.
[11] Ibid., n.5.
[12] Discours aux participants au Symposium International sur le Désarmement organisé par le Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral, 10 novembre 2017.
[13] Pie XI, Alloc. “il nostro più cordiale” aux Curés de Rome et aux Prédicateurs du Carême à l’occasion de la signature des Accords et du Concordat au Palais du Latran, 11 février 1929.
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