Chers religieux de la Congrégation méchitariste arménienne!
1. Je suis particulièrement heureux de vous accueillir aujourd'hui, à l'occasion du troisième centenaire de la fondation de votre Institut. Ma pensée se tourne vers la noble figure de l'Abbé Méchitar, qui se distingue de manière originale, et je dirais même prophétique, dans le cadre de l'Orient chrétien et de ses rapports avec l'Eglise de Rome. Nous le sentons présent spirituellement à l'occasion de notre rencontre. Il s'est certainement réjoui dans le Ciel de la récente réunification des deux branches de votre Congrégation, fruit du désir de rechercher ensemble les racines du charisme de votre vie monastique afin de servir, dans un esprit renouvelé et dans la concorde, les nouvelles nécessités du peuple arménien.
Avec la vie de Méchitar de Sebaste, l'histoire de la spiritualité monastique arménienne atteint son point culminant. A une période de forte décadence, due notamment à des circonstances socio-politiques particulières, Méchitar a compris que la sainteté représentait le moyen le plus élevé de redonner la dignité, la vigueur et le sens de l'engagement moral et civil à son peuple. Il fut tout d'abord un chercheur de Dieu, ainsi que tout moine est appelé à l'être. Il voulut l'être dans le contexte précis de la vie monastique arménienne, reconnaissant en celle-ci une réserve inépuisable de sainteté et, dans le même temps, un cadre singulier d'approfondissement culturel des valeurs de la tradition, grâce aux célèbres académies et à l'institution du "vardapet", le moine-docteur, chargé de diffuser la doctrine chrétienne, à travers la prédication et la formation de disciples.
2. Alors qu'il n'était encore qu'un jeune homme, Méchitar entreprit un pèlerinage qui le conduisit dans de nombreux monastères d'Arménie. Il savait ce qu'il cherchait et, quand ses attentes étaient déçues, parce que la proposition chrétienne, les modalités de vie commune ou la qualité de l'engagement intellectuel ne lui paraissaient pas à la hauteur de ce qu'il considérait être les besoins spirituels de son peuple, il se rendait ailleurs, à la recherche d'autres sources d'enrichissement.
Au cours de ce pèlerinage, il rencontra également des religieux latins, tirant de la connaissance de leur spiritualité de nouveaux motifs de réflexion, sans cesser toutefois de rester fidèle à l'authentique tradition arménienne. Ce contact entre l'Orient et l'Occident ne constitua pas seulement une partie de son expérience personnelle, mais marqua profondément la culture et l'identité même du peuple arménien. Les circonstances historiques contribuèrent dans une large mesure à conduire Mechitar et le groupe de moines qu'il avait fondé à s'installer à Venise, pont naturel d'un Occident tendu vers l'Orient. Dès lors, l'île de Saint-Lazare devint "la petite Arménie" et, aujourd'hui encore, elle constitue le but de pèlerinages et le lieu où se développe et se renforce l'identité nationale, portant d'abondants fruits spirituels et culturels.
3. Un élément caractéristique de la spiritualité méchitariste est la recherche de la sainteté, à travers une intense vie de prière et un engagement non moins exigeant d'approfondissement culturel, centré principalement sur les grandes sources patristiques arméniennes. Méchitar voulait éviter que le moine-docteur arménien ne se perde dans une vie d'errance, égarant le sens profond de son identité. Pour cette raison, il établit que les moines conduisent une vie commune dans le monastère, dans l'obéissance. Les monastères devinrent ainsi des centres de formation spirituelle et d'approfondissement culturel et exercèrent une influence extraordinaire sur cette aristocratie intellectuelle qui fut en grande partie à l'origine de la renaissance culturelle, politique et sociale du peuple arménien au cours des époques successives.
Il faut reconnaître en particulier à Méchitar et à ses moines le mérite d'avoir oeuvré et d'oeuvrer encore en vue de la pleine recomposition de l'unité entre l'Eglise d'Occident et les Eglises d'Orient. La communion avec le Siège de Rome était, pour Méchitar, un élément imprescriptible de la foi, notamment parce qu'il voyait dans cette communion l'accomplissement d'une aspiration présente depuis toujours chez de nombreux Arméniens, dont un grand nombre d'ecclésiastiques de haut rang. Il était convaincu que la foi de l'Eglise arménienne, au-delà des différentes terminologies théologiques et des incompréhensions historiques, jouissait de la pleine orthodoxie et que la communion avec Rome ne pouvait qu'en constituer la conséquence logique. Pour cela, il s'en tint toujours avec une fidélité scrupuleuse et exemplaire à la théologie, à la liturgie et à la spiritualité des Pères arméniens, se préoccupant d'en transmettre intégralement le riche patrimoine aux générations successives.
4. Chers fils de Méchitar, c'est à vous qu'il revient de recueillir cet héritage et de le faire revivre. Vous avez vécu des temps difficiles, qui ont mis à dure épreuve votre communauté. Il faut maintenant accompagner avec clairvoyance les signes de renaissance que l'on entrevoit dans les différents domaines de l'Eglise.
Le premier engagement est d'approfondir la connaissance de votre peuple afin de savoir répondre de manière adéquate à ses attentes. N'ayez pas peur de vous ouvrir à de nouveaux horizons, en réexaminant et en mettant à jour d'anciennes présences si les priorités actuelles le requièrent. A ce propos, en conduisant certaines de vos activités, il pourra être opportun de recourir à la collaboration de fidèles laïcs qui verraient ainsi mieux valorisée leur contribution spécifique.
Qu'au centre de votre existence quotidienne, demeure toujours la vie monastique: Puissent la recherche personnelle de Dieu, la fréquentation assidue de l'Ecriture Sainte, la référence constante aux écrits des Pères arméniens, la célébration fidèle, pleine, sereine, complète de la prière de l'Eglise arménienne être pour vous les sources d'où vous tirez votre force quotidienne. Sur ce chemin de la redécouverte monastique commune, la coopération avec vos frères de l'Eglise arménienne apostolique vous aidera beaucoup. Elle constituera un nouvel exemple de cet "oecuménisme de frontière" que le monachisme peut réaliser, s'il ne s'enferme pas dans l'isolement et le fondamentalisme mais sait accueillir, au nom de la recherche commune du visage du Père, le frère qu'il rencontre sur le même chemin.
5. Votre histoire et les intuitions de votre Fondateur vous mettent dans une situation privilégiée en ce qui concerne le dialogue oecuménique. Vous êtes aimés et estimés par tous vos frères arméniens qui se tournent vers vous avec confiance et vénération. Soyez à la hauteur d'une telle vocation extraordinaire. Mettez à disposition de l'Eglise catholique arménienne les instruments de votre connaissance et soyez avec elle un ferment d'ouverture pastorale, dans la pleine fidélité à l'esprit de vos Pères. Grâce à votre contribution, le dialogue entre les Arméniens apostoliques et les Arméniens catholiques se renforcera, notamment à la lumière d'acquisitions spirituelles nouvelles et plus fortes.
Redécouvrez en plénitude l'engagement d'approfondissement du patrimoine théologique et, plus largement, de la richesse culturelle de votre nation ainsi que le voulait votre Fondateur. Dotez-vous d'instruments mis à jour et de compétences nouvelles de façon à conserver et à renouveler l'amour de l'étude que saint Nerses de Lambron considérait comme le signe de l'amour divin et que Méchitar voulut comme caractère distinctif de son institution monastique. Je suis certain que c'est ce que votre Patrie, l'Arménie, et l'Eglise apostolique arménienne elle-même, attendent de vous dans un esprit de coopération et d'ouverture oecuménique.
6. Souvenez-vous que la pauvreté est une caractéristique imprescriptible de la vie monastique. Que votre richesse soit le Seigneur que vous portez dans votre coeur. Considérez les trésors de l'art et de l'histoire que votre peuple vous a confiés comme de véritables reliques, en particulier les manuscrits qui contiennent l'histoire vivante des hommes et des événements, en en conservant le souvenir pour les générations futures. Que le passé vous enseigne à ne pas confondre la prospérité matérielle avec la profondité de la vie spirituelle: souvent, la prospérité suscite des avidités idolâtres qui minent la base même de l'expérience religieuse. C'est une leçon qu'il ne faut pas oublier. Eduquez vos jeunes à l'austérité qui, seule, rend le coeur léger et lui permet de regarder vers le haut pour chercher Dieu. Ayez fermement conscience d'être les gardiens fidèles et désintéressés de ce qui appartient à l'Eglise et à l'histoire de votre peuple.
Privilégiez en particulier la formation des jeunes moines, à travers une sélection attentive, prudente et progressive, exercée, au moins au cours de ses premières phases, sur les territoires d'origine des jeunes, de manière à éviter les dispersions et les faux espoirs. Eduquez-les à la profondeur dans la liberté, de façon à en faire des personnes responsables. Préparez vos jeunes à assumer progressivement les tâches adaptées à la formation reçue afin qu'ils deviennent des guides influents du Peuple de Dieu.
7. Très chers moines, ces trois cents années d'histoire de votre Congrégation sont une richesse pour l'Eglise universelle. Elle vous aime, vous estime et ne cessera pas de se prodiguer en faveur de votre croissance spirituelle et morale, reconnaissant en vous les fils du vénéré Abbé Méchitar, auquel va son admiration et sa gratitude.
Je vous confie à l'intercession maternelle de la Très Sainte Vierge, qui fut si proche de votre Fondateur. Qu'Elle vous assiste et vous protège, en obtenant pour vous du Seigneur toute grâce et consolation céleste.
Avec ces souhaits, je vous bénis tous de tout coeur.
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